1. J'ai rencontré dans le chemin clos, l'Ankou en tournée
Avec son linceul blanc et sa faux implacable.
2. Il m'a dévoilé que les temps sont proches,
où je devrai délaisser guerzes et harpe,
3. où je devrai délaisser la chère harpe qui m'a aidée
A chanter et à célébrer tes gloires, à ma Bretagne chérie.
4. Assez longtemps il est vrai, j'ai entendu la grande mer mugir
Et les oiseaux charmer la paix des sombres forêts.
5. La vieillesse, un jour, est descendue sur ma tête
Et depuis mes cheveux sont devenus aussi blancs que la blanche gelée.
6. Lorsqu'un arbre se désèche, il est vite abattu:
C'est ainsi que la mort me traitera bientôt.
7. Si je n'avais qu'à quitter le monde et ses plaisirs,
on ne me verrait pas verser beaucoup de larmes;
8. Mais hélas! d'autres tourments s'emparent de mon coeur;
Ma harpe ne donne plus que des airs de deuil.
9. Je vois les enfants de Bretagne devenir indifférents,
Indifférents envers leur Aïeule, à toi Bretagne aimée.
10. Ils méprisent leur Foi, leur Langue, les usages .de leurs ancêtres;
Ils abandonnent jusqu'à leurs vieux Saints et leurs pardons.
11. Ils se moquent, ô les ingrats! de nos belles sônes:
D'ineptes couplets venus de France les ont remplacées.
12. Ils rient, les impudents, lorsque chantent leurs Bardes:
Taliésin, ô Maître aimé, pleure dans ton froid tombeau.
13. Il me faudra donc avant de mourir, les maudire,
O mort, pourquoi tant tarder à accomplir ton oeuvre!
14. Rappelez bientôt, mon Dieu, vers vous le pauvre Barde,
Je suis lâs de voir trahir chaque jour ma chère Bretagne.