Lenn ha Dilenn

Loeiz Herrieu da heul - Loeiz Herrieu, suite

Funambule Euro

Lenn ha Dilenn (FR3)

 

La lecture utile est celle qui parvient à hiérarchiser les informations du message ; pour autant, le tri (dilenn) peut porter sur des réalités diverses, non représentatives. Par exemple, le tri des pommes de terre, celui des bulletins électoraux, etc. Lorsqu'on trie des pommes de terre, pour la semence ou pour ôter du tas les tubercules en décompositon, une préférence s'exerce. Mais, choisir, n'implique pas nécessairement de hiérarchiser entre des valeurs. Il existe d'ailleurs d’autres termes pour le dire (dibabiñ, par exemple).

Éplucher (non écosser) les petits pois, dilenn pis bihan: Francis Favereau note cette acception particulière en omettant le terme d'éplucher ; cette mention supplémentaire nous tire à nouveau vers le sens de l'expression "éplucher un article": examiner le texte en détail, le soumettre à une norme. Pourquoi l’exercice du choix serait-il plutôt associé à la lecture ? Lorsqu'il s'agit, plus généralement d'identifier une chose, on a recours à tel mot plutôt qu'à tel autre, à tels sons du langage pour le dire. Lire suppose un choix amoral qui va de pair avec un autre proces, celui de distinguer, de séparer les sons et les mots: stag ha distag!

Une autre fausse opposition fait penser: soñj ha disoñj

Penser et oublier sont ainsi invités par la langue à se mettre en rapport. Et nous sommes amenés à reconnaître que la pensée radicale prend son essor et se développe à condition d'oublier tout ce que l'on sait. L'épistémologie s'est ainsi édifiée. Mais fondée sur un oubli qui n'est pas à confondre avec de la distraction: il s'agirait plutôt de se départir, de s'abstraire d'un environnement qui menace d'envahir nos représentations. L'attraction étant alors le pôle opposé de l'abstraction. L'exhortation à se souvenir de notre passé breton, et du passé que ceux-ci auraient pu avoir, s'ils n'en avaient pas été empêchés par le centralisme de la royauté, ce cours d'histoire plomberait l'histoire présente s'il ne faisait pas place en même temps au pouvoir financier actuel qui donne tout pouvoir à des créanciers indiscernables, perdus dans leurs institutions bancaires, régies elles-mêmes par des ordinateurs et des algorithmes donneurs d'ordre réagissant à la fraction de seconde, tel un gouvernail affolé à l'arrière d'un paquebot. On se surprend à regretter un pouvoir central identifié séparément comme pouvoir politique nettement distinct de la sphère économique et financière. La séparation des trois pouvoirs est un principe inscrit dans l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789: "Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution". Il faudrait ajouter aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire séparés par Montesquieu et Locke,  le pouvoir financier ; mais où est-il, celui qui se manifeste à travers les agences de notation? Et lorsque nous décidons de le traquer, comme l'inspecteur Wallas du roman (Les Gommes) de Robbe-Grillet, qui était lui-même le criminel, sommes-nous certains de ne pas participer au marché financier? Oublions-nous nos positionnements ou les dénonçons-nous pour en adopter un autre, plus juste, plus contrôlable?