Dasson ur Galon - Les résonances d'un cœur
Ged Loeiz HERRIEU (1)
Au mois de Juin dernier paraissait, à titre posthume, « DASSON UR GALON », - « Les Résonances d'un Cœur », - une œuvre poétique du grand écrivain vannetais Loeiz Herrieu. On m'a demandé de vouloir bien la présenter aux lecteurs des « Cahiers ». Je le fais volontiers;Disons, sans plus attendre, que le volume plaît. Il plaît par l'habit seyant que lui a donné le talent de Patrig Guérin; il plaît encore par le choix des caractères, l'impression soignée et la disposition remarquable des textes. Visiblement l'abbé Mériadeg Herrieu, qui s'est fait l'éditeur de son père , a mis toute sa piété filiale à nous fournir un livre digne d'une mémoire vénérée.
Si nous en venons au contenu, rien ne peut le résumer mieux que le titre que lui a donné Loeiz Herrieu lui-même: « Dasson ur Galon » - «Les Résonances d'un Cœur ». Nous voici donc à l'écoute d'un cœur qui vibre, qui aura vibré plutôt, à tout ce qui était ou qui aura fait la vie du poète. Et ici, il ne s'agit pas d'un poète de salon perdu dans l'extase de sa tour d'ivoire, mais d'un poète en contact direct et quotidien avec toutes les difficultés de la vie. C'est l'écho du « Barh-Labourer » - du « Poète-Paysan » (tel était le pseudonyme de L. Herrieu) dans toute l'acception des deux termes. Bien des beautés de « Dasson » ont vu le jour non dans la douce tiédeur d'un bureau d'écrivain, mais derrière l'attelage, au bout du sillon fraîchement creusé, entre deux gerbes à ramasser ou deux chargements de litière à rentrer; en quelque lieu qu'il se trouvât, L. Herrieu avait l'habitude, en effet, de noter sur un carnet qui ne le quittait jamais, l'idée, l'image, ou la tournure' vivante qui lui surgissait à l'esprit.
« Dasson ur Galon » a eu, au moins dans sa forme actuelle, une origine assez particulière. On y trouve des poésies composées entre 1905 et 1945, soit un intervalle de quarante ans. Quelques-unes (assez rares) ont paru dans « Dihunamb » , la plupart étant demeurées manuscrites; et L. Herrieu, jusqu' en 1939, n'eut jamais l'intention de les publier, « ce sont là, disait-il, choses trop personnelles ». Il n'aimait pas en effet faire part à autrui de ses sentiments intimes. Ce n'est qu'à cette date, et sous la pression de quelques amis, qu'il se décide à les collecter, à les revoir au besoin, pour les éditer en un livre, et aussi à chercher pour ces morceaux parfois disparates, un lien solide qui en fera une belle gerbe.
Il le trouvera, ce lien, dans l'image de l'arbre en fleur, puis portant fruit, enfin s'effeuillant à l'automne: symbole des trois périodes de la vie. D'où les trois parties de son livre, préfacées chacune d'elles par un poème composé tout exprès et qui leur sert d'introduction:
1. – « De gourz er bleu »- « Au temps des fleurs ». L'écrivain y chante la jeunesse, sa joie de vivre (Er Leùiné boud béù), l'espoir d'une œuvre féconde, l'amour aussi dans des chansons ou des complaintes recueillies mais rajeunies dans la forme.
2. – « De gourz er freh » - « Au temps des Fruits »: poésies d'âge mûr, où il nous fait part des combats entrepris pour la sauvegarde de la langue et du patrimoine de la Bretagne. Nous y trouvons encore «Eured Lenndrein D : longue description en vers d'une noce bretonne d'autrefois où L. Herrieu, par une foule de détails, se révèle observateur fin et perspicace.
3. – « De goueh en dél » - « A la chute des Feuilles ». C'est sans doute, dans l'ensemble, la partie la plus belle du livre. Nous sommes ici en contact direct, dans des morceaux qui sont souvent d'une magnifique élévation, avec les résonances d'une âme blessée parles déceptions, les incompréhensions de toutes sortes,. Ne sachant plus à qui se confier, le barde se tourne désormais vers Dieu, et aspire au repos définitif en souhaitant de mourir par une belle soirée de Mai:
« De gourz kaer er bokedeu,
Ardro er goubanùel
Pe vé er banal é bleu,
É karehen merùel...»
« C'est au beau temps des fleurs,
A la tombée du jour,
Quand fleurissent les genêts,
Que j'aimerais mourir...»
Suprême désir qui fut, on le sait, réalisé par la Providence.
D'un point de vue plus strictement littéraire, que faut-il penser de « Dasson ur Galon » ? L. Herrieu a toujours été considéré comme un maître de la langue bretonne, et, a priori, tout nous indique que nous devons avoir affaire à une œuvre de choix. Il ~aut sc: souvenir d'abord que l'auteur est un autodidacte; il n'a donc pas eu, à l'encontre de presque tous les écrivains bretons, à se défaire d'une formation classique, et française, pour retrouver l'authentique veine bretonne: il n'avait qu'à se laisser guider par son instinct breton. En outre, il a toujours vécu en milieu bretonnant; il n'aura lui-même que le breton pour langue dans sa propre famille et dans ses relations. Encore qu'il maniât parfaitement le français, la langue bretonne est toujours restée le véhicule principal et presque unique de sa pensée. Comme dans ses autres ouvrages, nous trouverons donc ici une langue sûre, beaucoup plus sûre, par exemple, que celle de Y.-P. Kalloh qui n'eut pas le temps de mûrir son génie, une langue riche, dont tous les termes lui sont familiers; une langue savoureuse et pittoresque comme l'ont tous ces paysans et paysannes qui revêtent leur pensée des expressions les plus jolies et les plus inattendues parfois: en un mot une langue populaire. Pas de « brehoneg chimik» ou de « brehoneg kadoér » dont il avait horreur, et s'il lui arrive parfois d'employer des néologismes ce n'est que discrètement et toujours à bon escient, car les mots simples et issus du peuple ne lui manquent pas pour exprimer les idées les plus hautes. Oui, langue populaire bien sûr, mais langue soignée cependant, bien lissée, peignée, décantée enfin de ses impuretés. Presque sans effort apparent, il a réussi à faire le pont entre le breton vivant et le breton dit « littéraire » idéal enviable à tous égards, pour tout écrivain digne de ce nom.
Le lecteur attentif de « Dasson ur Galon » celui du moins qui ne se contentera pas de la traduction française placée vis-à-vis du texte breton - ne sera pas sans découvrir très vite une autre qualité éminente de L. Herrieu : son sens quasi instinctif du rythme, de la musicalité des mots et des phrases. La perfection de la forme, les effets de sonorité l'enchanteront plus d'une fois dans nombre de poésies qui forment la trame du livre. Et ceci sera surtout sensible pour ceux qui connaissent les intonations et les harmonies si particulières du Vannetais qui, du fait de son accent tonique spécial, donne toute leur valeur aux rimes tant internes que finales. En voici trois exemples:
1. - Le poète, dans sa pleine jeunesse, attend l'amour .
Klasket em-es timad ul leh ér [oaskedenn...]
De hortoz de ziglos ur vleuenn e hoantenn . (p. 6)
J'ai cherché prestement un refuge [ombragé...]
Pour attendre qu'éclose la fleurette désirée .
2. - Observons le soleil perçant l'opacité d'ouate de la brume .
T érenneu en héol
É tibouk dré roug mantell moug er brum. (p. 78)
Les rayons du soleil
Qui s'échappent par l'échancrure du sombre manteau de la brume
3. - Qui aura "rendu" d'une manière aussi poétique la chute des feuilles du cerisier sur le gazon que ces vers:
Délenn ha délenn, bleu er gignézenn
Heb déhan ar van er hrienn e ziskenn
Diroll èl ré foll, didrouz é koroll.
Pétale après pétale, les fleurs du cerisier
Sur la mousse de la crière descendent sans arrêt,
Pêle-mêle, comme des fous dansant en silence.
Cette harmonie des mots, cette richesse d'expression ne peuvent tromper:
Herrieu fut un poète de talent, et «Dasson ur Galon" marquera dans notre littérature nationale. Depuis sa parution, de nombreux témoignages sont déjà venus corroborer que sa lecture ne déçoit personne. «lennet em-es éan heb poén erbed, rédeg e hra èl deur mammenn ", écrit l'un; un moine ajoute: «lonket em-es éan èl ur wérennad chistr fresk ". De son côté, M. le chanoine Falc'hlln l'a inscrit au programme d'un nouveau certificat de Grammaire et Philologie celtique. «Ceux qui possèdent vraiment le génie de la langue, ceux qui connaissent la sensibilité du cœur breton, enfin les artistes qui goûtent les vers bien frappés, ciselés, harmonieux, y trouveront toujours le plus vif plaisir. "
Pour clore cet expose, Je signalerai quelques avantages pratiques du livre.
Grâce à la traduction qui accompagne toujours le texte, même ceux qui ne connaissent qu'imparfaitement la langue bretonne, pourront en retirer un large profit; beaucoup de bretonnants même y apprendront peut-être - et c'est à espérer - à lire leur propre langue ou à s'y familiariser davantage avec elle. les non-vannetais n'ont pas non plus à craindre de se le procurer: l'effort de rapprochement orthographique avec le K.L.T. a été si réel que la plupart de ceux qui l'ont lu jusqu'à présent n'y ont trouvé aucune difficulté pour le goûter pleinement.
Me sera-t-il maintenant permis d'exprimer un souhait? Celui de voir encore, au Pays de Vannes et ailleurs aussi en Breiz, se lever d'autres Loeiz Herrieu, et de la même trempe que lui, qui continueront, dans son sillage, à œuvrer pour la restauration déjà si bien commencée de la Patrie bretonne.
C. LE BRAZIDEC.
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